Quelques clés du développement de publics en milieu minoritaire francophone au Canada

Ma collègue Lianne Pelletier est une chercheure qui s’intéresse, entre autres, à la participation des publics aux initiatives artistiques en milieux minoritaires. Je suis son travail de près depuis quelque temps déjà. Elle complète actuellement son projet de doctorat qui porte sur les consommateurs atypiques et les non-consommateurs atypiques des arts chez les publics francophones de la région du Grand Sudbury (ON). Elle a présenté ses conclusions préliminaires à un symposium sur la recherche sur les publics organisé par l’International Network for Audience Research in the Performing Arts à l’Université de Leeds, au Royaume-Uni, au mois de septembre dernier (cliquez sur les liens suivants pour accéder au résumé et à l’enregistrement de la présentation de Lianne).

Avant d’en arriver aux constats, entendons-nous sur quelques définitions :

  • Les non-consommateurs atypiques sont des gens éduqués qui ont accès à de bons revenus, vivent en milieu urbain, ont peu d’obstacles à surmonter pour participer aux arts, mais choisissent de ne pas le faire.
  • Les consommateurs atypiques ont un niveau d’éducation et des revenus moins élevés, vivent en milieu rural et sont aux prises avec d’importants obstacles pour participer aux arts. Néanmoins, ils les fréquentent avec assiduité.

À l’aide d’un sondage mené auprès de 160 personnes et d’entrevues individuelles avec 24 d’entre elles (9 consommateurs atypiques et 15 non-consommateurs atypiques), Lianne a recueilli des données sur leurs expériences avec les arts et leurs impressions des activités de développement de publics proposées par les organismes artistiques francophones locaux. Elle a découvert que…

  • Les changements qui surviennent dans les vies des gens influencent leurs rapports avec les arts.
  • Les non-consommateurs atypiques sont souvent des personnes gênées, introverties et inconfortables avec la dimension sociale des arts. Ils se privent d’expériences artistiques pour cette raison.
  • La décision de vivre une expérience artistique dépend souvent de la recommandation d’un parent, d’un enseignant, d’un ami, d’un collègue de travail. La recommandation de cet influenceur est plus efficace que toute autre initiative de développement de publics.
  • Ces influenceurs sont aussi des initiateurs. Ils préparent leurs interlocuteurs à leur participation à une activité artistique en leur fournissant des renseignements de base : où se stationner, comment se procurer des billets, comment se comporter s’ils aiment ou n’aiment pas une performance, etc.
  • Chez les consommateurs atypiques, la capacité de l’influenceur de partager son amour pour la langue et la culture françaises est particulièrement déterminante.

Pour des organismes artistiques qui œuvrent en contexte franco-minoritaire, il vaut la peine de s’attarder à ce dernier point, affirme Lianne. L’influenceur, celui qui recommande et qui initie quelqu’un à une forme d’art quelconque, le fait parfois sous l’angle de la francophonie – et cela semble avoir de l’effet. Qu’un proche partage son amour de la langue et de la culture françaises dans le cadre d’une initiation à une expérience artistique peut inciter une personne à devenir, à plus long terme, un amateur des arts franco-minoritaires, et ce, indépendamment de ce que prévoit son profil sociodémographique.

À la suite de ces entretiens, Lianne a noté des changements de comportement chez certaines des personnes interviewées :

  • Deux d’entre elles ont profité des services de garde gratuits offerts par le Théâtre du Nouvel-Ontario pour assister à une production.
  • Une autre a introduit son petit-fils au théâtre.
  • Un enseignant a utilisé en salle de classe la trousse pédagogique fournie par des artistes.
  • Une personne a participé à la création d’une œuvre artistique communautaire.
  • Une autre a encouragé son garçon à s’inscrire à un concours musical provincial.
  • Enfin, une personne a décidé de faire du bénévolat à la Galerie du Nouvel-Ontario.

Les approches employées par Lianne démontrent que si vous prenez le temps de parler aux gens dans un contexte qui se prête à la confidence, vous recueillerez des informations pratiques sur leurs appréhensions et leurs expériences antérieures avec les arts. Non seulement s’agit-il d’un bon moyen pour obtenir des données utiles à l’élaboration de vos stratégies de développement de publics, la conversation constitue en soi une activité en ce sens. En effet, ces rencontres sont autant d’occasions d’introduire vos interlocuteurs à l’offre culturelle locale et de leur recommander des activités qui correspondent à leurs intérêts et à leurs portefeuilles.

Somme toute, c’est notamment en faisant appel aux cordes sensibles identitaires des gens et en prenant le temps de leur parler qu’on parvient à les intéresser aux arts en milieu minoritaire francophone au Canada.

Dialoguer avec les publics que vous visez est aussi une approche utile pour les diffuseurs et les producteurs qui évoluent dans un contexte majoritaire.

Developpez votre auditoire

Partagez ce billet

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *